En réaction à l’interview de Philippe Matrinez, secrétaire général de la CGT, sur les colonnes du journal l’Humanité du jeudi 20 décembre 2018.
L’interview a commencé par interroger la direction de la CGT sur « la crise des gilets jaunes » !
En quoi consiste cette crise dite « des gilets jaunes » aux yeux de la CGT? Et par effet d’écran aux yeux du journal L’Humanité?
Pour Philippe Martinez, cette crise consiste en «la mise à l’écart des organisations syndicales par les gouvernements successifs et par le patronat». Elle consiste en «la division syndicale», également en «l’éloignement des syndicats des manifestants». «25% des salariés syndiqués» et «75% non syndiqués», observe le secrétaire général.
Force est de noter et à contrario, que la CGT regrette que «les gouvernements successifs et le patronat» écartent les syndicats, et par ailleurs, souhaite-t-elle la participation des syndicats? Certainement. Les syndicats n’ont cessé de demander «aux gouvernements successifs et au patronat» de répondre à leurs cahiers de doléances. Et ces mêmes gouvernements et ce même patronat n’ont pas satisfait les syndicats malgré les grèves et les manifestations d’ampleur même en nombre plus grand que les gilets jaunes !
Mérite-t-elle attention la demande du secrétaire général de la CGT «aux gouvernements successifs et au patronat» de faire participer les syndicats et de ne pas les écarter ?
Comment se fait-t-il que les «gouvernements successifs et le patronat » malgré les manifestations massives et grèves plus nombreuses avec beaucoup plus de soutien de l’opinion publique ne répondent aux syndicats ?
Un élément de réponse à ces questions est dans les propos du secrétaire général de la CGT. Il s’agit de la faiblesse des syndicats (25% des salariés).
Toutefois, ce n’est qu’un élément parmi d’autres. Donc partiale la réponse. Cette faiblesse n’est que question du nombre ou comporte la ligne poursuivie?
Faudrait-il noter que les 75% salariés non syndiqués n’ont tous manifesté en gilets jaunes et qu’aussi des salariés parmi les 25% syndiqués ont été dans les manifestations et rond-point en gilets jaunes et dans les autres points de blocage de l’économie.
Autre considération, l’action du mouvement dit «Gilets jaunes» a de suite menacé l’économie et a de suite fait pression sur l’État. Ce mouvement menaçant envers l’économie et faisant pression sur l’État n’est pas maitrisable par une telle ou telle structure syndicale ou politique. Ce qui fait sa faiblesse et sa force.
Ce mouvement contrairement aux syndicats n’a demandé au gouvernement ni au Président ni au patronat ni au Parlement une quelconque participation. Au contraire, le mouvement, dès ses premiers instants, a cherché à bouleverser le rapport de force sans se soucier de telle ou telle participation. Le mouvement veut des réponses immédiates à des questions sociales et de démocratie urgentes. Le mouvement dans sa forme et sa constitution et dès le début voulait des réponses à ses demandes de justice sociale et fiscale et de démocratie.
Ces demandes ont pris des formes différentes et variées. Le mouvement par ces actions inédites, variées, innovantes, veut contraindre l’État à répondre et de suite. Alors que les syndicats orientent les actions de manifestations et de grèves vers d’autres aspects : la demande de la participation et des ententes entre les directions syndicales et «les gouvernements successifs et le patronat».
La faiblesse du mouvement tient à ce qu’il n’est pas. Tout mouvement sans direction et organisation réellement révolutionnaire ne peut aboutir à ses aspirations d'égalité de justice et de démocratie. Au mieux, ce mouvement sera absorbé et ses revendications principales s'émietteront et l’oligarchie aux commandes continuera de manipuler et de mettre en ordre le système actuel encore plus virulent. La faiblesse du mouvement réside aussi dans la faiblesse du camp des forces de la transformation sociale.
Le mouvement dit «les gilets jaunes» ne s’est intéressé à ces questions. Il veut du «pain de la dignité et de la démocratie ». Or ces fortes doléances risquent de s’émousser dans les aléas de la lutte telle qu’elle est actuellement, d’autant plus que les dits «corps intermédiaires» ne se préoccupent que des jeux politiciens et électoralistes loin des besoins réelles des gens et des ambitions de changer réellement la société.
Les syndicats, plutôt leurs directions non seulement sont en retard par rapport «au monde du travail » pour reprendre l’expression du secrétaire général de la CGT, mais également elles sont en retard à tous les niveaux et retardent et empêchent même souvent les mouvements sociaux à se constituer en force social d’émancipation et de changement de société, clef de voûte d’obtenir exactement «le pain, la dignité et la démocratie». Car justement, ces directions sont préoccupées et sont intéressées par la participation que «les gouvernements successifs et le patronat» leur refuse, alors même que les masses salariales ne manquent pas aux appels de grèves et de manifestations.
Les directions syndicales continuent de parler du «mouvement hétéroclite», «des comportements inacceptables » etc. Elles argumentent à la marge pour ne pas appeler les syndiqués(25%) et les non-syndiqués(75%) à participer à conjuguer leurs manifestations, leurs grèves, leurs points de blocage etc.
Le mouvement «Gilets Jaunes» a bousculé tout le monde et tant mieux. Il a fait pression sur non seulement l’État mais aussi sur les syndicats et toutes autres organisations.
La crise n’est certainement celle des « gilets jaunes » mais surtout celle des syndicats et des partis et autres organisations politiques et associatives.
La crise est celle de l’État qui ne peut plus répondre aux demandes des masses salariales paupérisées que par l’oppression. Cet État qui s’est transformé et s’est replié sur lui même après avoir céder les biens collectifs aux capital (privatisations), après avoir abandonner toute politique sociale en faveur des masses (logique comptable), après avoir même abandonner sa souveraineté. Cet État s’est concentré sur lui même pour devenir un nouveau État gendarme qui a fait belle part au capital privé et ses gestionnaires à son sommeil.
Dans ce contexte, la demande de Philippe Matrinez au nom de la CGT de la participation ou à de la négociation avec le gouvernement et la patronat ne peut qu’être décevante et ne répond guerre aux besoins réelles des salariés et des agents publics.
Cette demande est formulée à l’opposé de l’action.
S’il est vrai que ne pas associer et conjuguer les actions dans les rond-point, dans les rues d’un coté et dans les entreprises de l'autre, ne peut aboutir qu’à l’échec et comme dit Philipe Martinez, « le Medef pourra continuer à dormir tranquille ».
Le Capital «pourra continuer à dormir tranquille» et pourra aussi continuer à circuler tranquille au dépends des millions de vie humaine si les syndicats et en premier rang la CGT n’abandonnent pas leurs lignes actuelles. Il faut bouger les lignes. Les citoyens et les salariés et les agents des fonctions publiques ne voient pas leurs préoccupations au centre «des organisations» comme l’a constaté P.Martinez.
Pour que ce mouvement social inquiète le Medef, les syndiqués comme les non-syndiqués, les «gilets rouges» comme «les gilets jaunes» doivent occupés non seulement les rond-points mais surtout et aussi les usines, autre constatation de P.Martinez.
La CGT agira-t-elle dans ce sens et se donnera-t-elle les moyens pour le faire? La question concerne également en premier lieu les forces de la gauche en France.
Le secrétaire général de la CGT dit que «la plupart des manifestants dans les rond-points ne travaillent pas dans les grandes entreprises» et ses manifestants sont «des chômeurs, des retraités, des salariés de TPE-PME, voire des petits patrons et artisans, ce n’est pas la masse de nos syndiqués». Pourquoi alors ces catégories sociales ont bouleversé et ont secoué l’État, les syndicats…toute la société ? Pourquoi les masses de salariés dans les grands groupes où la CGT est présente ne font pas trembler « le capital du CAC 40 »? Pourquoi les forces de gauche se maintiennent-elles au poste d’observation sans action ?
Le Temps n’est plus celui de faire l’économie d’assumer ses responsabilités en tant qu’organisations syndicale et politique capables d’agir et changer le rapport de force et d’embrasser les valeurs d’émancipation et de démocratie et de changer la société.
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