2019/02/10

Mohammed Saidi // Le seuil d’immigration et les partis politiques au Québec

Dans un contexte économique marqué par la pénurie de main d’œuvre, Le gouvernement de la CAQ a annoncé la réduction du seuil d’immigration
annuel pour 2019 à 40 000. Sans études sérieuses appuyant la décision, la CAQ précise qu’il s’agit d’une décision temporaire en attendant la détermination des objectifs à plus long terme dans le prochain plan triennal (2020-2022). On constate déjà depuis la première semaine de l’annonce que les autres partis politiques et plusieurs entrepreneurs québécois s’opposent à la décision; chacun avec ses propres arguments. Même si certains évoquent le problème de la pénurie de main d’œuvre au Québec, le nouveau gouvernement semble qu’il est déterminé dans sa décision. Présentement, il se sent appuyé par la majorité des votes et il n’a aucune raison de reculer. 
L’objectif de cette réflexion est de partager certains éléments qui aident à comprendre la question de l’immigration et ne pas tomber dans le simplissime de qualifications non fondées. Le PLQ ne maintient pas sa position d’un seuil de 50 000 pour des raisons humanitaires et la CAQ ne le réduit pas non plus pour des raisons de racisme. 
Le PLQ avait fixé un seuil annuel de 50 000 en se basant sur une étude dévoilée en 2016, soit « La planification de l’immigration au Québec pour la période 2017-2019 » . C’est clair dans l’étude que les immigrants sont sélectionnés pour répondre aux besoins économiques:
« L’immigration économique vise à répondre aux besoins économiques du Québec afin d’en maintenir la prospérité. Les personnes admises dans cette catégorie, notamment celles de la sous-catégorie des travailleurs qualifiés, ont été sélectionnées en fonction de certaines de leurs caractéristiques personnelles considérées en vue d’une intégration rapide à la société québécoise et au marché du travail. Ces personnes répondent ainsi à des besoins de main-d’œuvre (sous-catégorie des travailleurs qualifiés), d’entrepreneuriat (sous-catégories des entrepreneurs et des travailleurs autonomes) ou encore d’investissement (sous-catégorie des investisseurs) ».

Il est à noter que seule la catégorie des travailleurs qualifiés (économique) qui relève du pouvoir du Québec. Les deux autres catégories relèvent du pouvoir fédéral (Réfugiés et regroupement familial).

L’apport de l’immigration est démontré par les statistiques (recueil -2016). En 2013, 81.7% des immigrants admis depuis 5 ans dans la catégorie « économique » ont déclaré un revenu de salaire ou de travail autonome. Ce pourcentage est de 68.5% pour la catégorie du « regroupement familial » et de 70.5% pour les « réfugiés ». Ceci dit, le reste des immigrants ne vit pas nécessairement de l’aide sociale; il y a des couples qui choisissent de vivre avec un seul revenu pour permettre à un des deux parents de s’occuper des jeunes enfants.

Les immigrants ne participent pas à l’économie seulement comme travailleurs mais aussi comme consommateurs au Québec. Peu importe la source de revenus, ils sont obligés de payer au moins le loyer, la nourriture, les vêtements et le transport. De plus, ils participent aux différentes caisses d’assurances et de retraites pour assurer les pensions versées et ils paient les impôts qui servent à maintenir le service public.

Au cours du processus de sélection, il est encore plus clair qu’il n’y a pas de place à « l’humanisme ». On ne cherche pas les pauvres; on cherche les meilleurs et qui sont en bonne santé pour ne pas coûter cher au système de santé. On cherche des diplômés qui ont coûté cher à leurs pays d’origine en termes de frais d’études primaires, secondaires, collégiales et universitaires et on cherche à les intégrer directement au marché du travail. On cherche des gens avec une expérience de travail et ayant une stabilité financière dans leurs pays.

Malgré que ce soit clair que la politique d’immigration est instaurée pour répondre à des besoins économiques, le PLQ recourt à un discours «humaniste» lors des campagnes électorales. Il se présente comme le défenseur des immigrants contre les anti-immigrants et ainsi, il promeut la division entre les immigrants et le reste de la population. Encadrés par ce discours, les immigrants (pour une proportion importante) étaient neutralisés de la lutte sociale au Québec mais, ils se mobilisaient lors de la compagne électorale pour un « vote stratégique » en faveur du PLQ. On ne voit pas cette mobilisation pendant le reste des années du gouvernement!

La CAQ n’a pas apporté de nouvelle au niveau du fondement de la politique. Tout le débat porte actuellement sur la réduction du seuil annuel de l’immigration de 20% pour mieux accueillir, mais il ne touche pas le principe. Le parti veut faire croire aux gens qu’il a quelque chose nouveau en parlant de « mieux accueillir », mais cette notion existait déjà dans l’étude sur l’immigration “La Stratégie d’action 2016-2021 Ensemble, nous sommes le Québec ». On pourrait lire que le but de la stratégie est :
- Mieux sélectionner;
- Mieux intégrer;
- Mieux vivre ensemble.

Il ne suffit pas de changer les mots pour dire qu’on a une nouvelle politique; le but (mieux intégrer) qui justifiait le seuil de 50 000 par l’ex-gouvernement libéral est le même but (mieux accueillir) qui justifie maintenant le seuil de 40 000. En fait, la CAQ doit faire un travail énorme si elle veut se différencier du PLQ. Présentement, le parti n’est même pas capable de justifier le chiffre de 40 000 par des études. Les besoins économiques ne le justifient pas et la démographie ne peut non plus faire ça.
Selon les statistiques (recueil-2016), La proportion des naissances dont au moins un parent est un immigrant est de 30,2 % en 2015 (immigration et démographie au Québec -2015); en chiffre c’est 26 485 naissances (87700* 30.2%= 26 485). Avec l’effet de l’immigration, le taux d’accroissement naturel de la population québécoise est de 24 700. Sans cet effet, il n’est pas sûr que qu’on va garder un taux d’accroissement positif. De plus, même avec cet effet et avec un seuil de 40 000, le Québec n’est pas capable de maintenir le niveau de 2011 de la population en âge de travailler (20-64 ans) à moyen et à long terme selon une simulation du même document . Maintenir un certain niveau de cette population est très important pour la croissance économique. D’ailleurs la politique d’immigration compte toujours l’âge parmi les critères de sélection; les chiffres de 2015 le démontre (le nombre de personnes âgées de moins 35 ans représentent 66.5% des personnes nouvellement arrivées .

Un autre enjeu important dans la politique d’immigration est de maintenir l’identité francophone du Québec par rapport au reste du Canada. Pour le faire, on établit des quotas pour chaque pays d’origine en considérant sa population francophone, car on sait que la connaissance du français favorise l’établissement stable au Québec. Selon l’étude , les personnes qui ont déclaré connaitre seulement le français au moment de leur admission sont plus fidèles au Québec que les autres : 
“La connaissance du français favorise également l’établissement durable. Ainsi, parmi les personnes admises au Québec de 2004 à 2013, celles qui ont déclaré connaître le français étaient présentes sur le territoire, en 2015, dans une proportion plus importante que celles qui ont déclaré ne pas le connaître 
(79,1 % ).”

Les québécois sont fiers de leur langue française et de leur histoire. Certains militent pour avoir et maintenir un poids politique par rapport au reste du Canada et il y a des québécois qui réclament l’indépendance. Que ce soit au sein du Canada ou comme un pays indépendant, la prospérité du Québec dépend de son poids économique qui est influencé en partie par le poids démographique or, selon le bilan démographique de 2017:
« La croissance de la population québécoise est inférieure à celle du Canada, et le poids démographique du Québec diminue légèrement d’année en année. Il est de 22,9% au 1er juillet 2017. »

En plus de cette baisse annuelle du poids démographique, le Québec a un solde migratoire interprovincial négatif : 
« Les échanges migratoires ont permis au Québec de réaliser un gain net de 33 600 personnes en 2016. Le solde migratoire international (immigrants moins émigrants) ajoute 45 650 personnes à la population québécoise, tandis que le solde migratoire interprovincial (entrants moins sortants) en retranche 12 050. Le Québec a accueilli 53 250 immigrants en 2016, en hausse par rapport à 2015 (49 000). On estime à environ 7 600 le nombre des émigrants. »

Comme on constate ci-haut le flux migratoire net en 2016 était de 33 600. Donc, si la CAQ apporte des nouvelles mesures pour garder la totalité des admis (40 000 immigrants par année) et réduire le nombre des émigrants à un niveau négligeable, le résultat sera meilleur qu’avant. Cependant, il y a tout un trajet à faire entre discours de la CAQ et la pratique et cela passe nécessairement par la clarification de la stratégie économique. Est-ce qu’elle se base sur les grandes ou les petites et moyennes entreprises? Est-ce qu’elle se base sur la création et la distribution locales de la richesse ou la sous-traitance internationale qui implique le transfert à l’étranger de cette richesse?

En principe, il semble que les deux partis, la CAQ et le PLQ, n’ont pas de divergences même si le seuil annuel d’immigration proposé est différent. Par contre, les deux autres partis d’opposition, le parti québécois (PS) et Québec solidaire n’ont pas présentement une position stable.

Le parti québécois quant à lui recommande que le seuil d’immigration doive refléter la capacité d’accueil du Québec et il suggère de revenir au vérificateur général du Québec pour avoir une recommandation concernant le seuil . Pendant la compagne électorale de septembre 2018, son leader avait suggéré un seuil entre 35 000 et 40 000. Il s’agit d’une façon « intelligente » pour sortir du débat sans perdre ni les québécois qui sont pour ni ceux qui sont contre. Cependant, il parait que le parti valorise le français et les « valeurs québécoises» lorsqu’il traite la question de l’immigration. Comme solution, Le PQ propose de changer la provenance des immigrants et il suggère des nouveaux pays où on pourrait chercher les immigrants francophones, car ils ont une grande communauté francophone, par exemple :
- Allemagne : 12 millions 
- Royaume-Uni : 10.5 millions 
- Italie : 9.4 millions 
- Pays-Bas : 3.6 millions 
- Suède : 1.1 millions

Selon la liste, il parait que le PQ veut réduire ou annuler le quota des pays d’Afrique et d’Asie car les immigrants de ces pays ne partagent pas les « valeurs québécoises » et ils trouvent des problèmes d’intégration. François Legault partage la même vision selon ses affirmations lors de la dernière visite en Europe. Il dit que la réduction des quotas ne doit pas nuire à l’immigration en provenance de la France .

QS a pris dernièrement une position en faveur du seuil annuel établi par le gouvernement fédéral (c’est-à-dire le seuil de 50 000). Manon Massé a pris beaucoup de temps avant de se pencher sur un chiffre acceptable pendant la compagne électorale de 09-2018. Si elle était contre la réduction du seuil, le plafond (maximum annuel) ce n’était pas clair dans ses affirmations publiques.
Avant que l’immigration soit une question politique, elle est tout d’abord une question économique. Le capitalisme au Québec a besoin d’un bassin de travailleurs, pour garantir la croissance économique visée. Il a besoin aussi d’élargir la population des consommateurs pour ses produits. Ceci résume les besoins du marché dont on parle dans les études spécialisées. Actuellement, on est dans une situation qu’on pourrait qualifier de « plein emploi ». La baisse du taux de chômage est historique, ce qui aide à améliorer le pouvoir d’achat, mais elle exerce une pression en faveur de l’augmentation des salaires non souhaitée par les capitalistes. Pour cette raison, il y a déjà des politiciens et des entrepreneurs qui ont qualifié la réduction du seuil d’immigration d’«antiéconomique ».

L’immigration satisfait aussi les besoins des immigrants. Pour la plupart, la décision de se déraciner de leurs origines est dure mais, elle est acceptée pour des raisons qui n’ont aucun lien avec le « beau paysage » du Québec. Aux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine, il y a un « climat » général qui favorise l’immigration; lié à l’insatisfaction de la démocratie, de la sécurité et de la stabilité du travail. Ce climat n’existe pas par exemple en Allemagne qui offre à ses immigrants des conditions de vie semblables à celle du Québec sinon meilleures. Cette nuance n’est pas comprise par les politiciens qui croient substituer les pays du Sud par les pays européens. Ils ne comprennent pas également qu’une grande partie des francophones en Europe sont des immigrants venant des anciennes colonies de la France et qu’on ne peut pas les « filtrer » parmi les nouveaux admis. Il parait qu’ils n’ont non plus analysé le taux des immigrants « européens » qui restent au Québec après 5 ans par exemple. Si c’est ça la solution de la question d’«intégration » et « des valeurs » au Québec, on pourrait prévoir dès maintenant de mauvais résultats.

La question des « valeurs » ne sera non plus réglée par un « test des valeurs » à imposer aux candidats d’immigration. Il serait plus facile de se préparer à ces tests mais, qu’est-ce qu’on fait avec les personnes qui les réussiront mais, ne croient pas à ces valeurs? On n’a pas produit encore des appareils semblables à ceux des tests d’alcool; on les interdit de s’y opposer et d’exprimer une opinion! Dans ce cas, on aura probablement deux citoyens dans le futur : un qui pourrait s’opposer aux « valeurs » et participer au débat public et un citoyen- immigrant qui en est interdit! De plus, lorsqu’on parle de « valeurs », on ne parle pas d’une situation statique mais, on parle d’une situation qui bouge avec le débat et la liberté d’expression et tout ça dans le cadre de la lutte sociale au sein du même pays.

Même si la décision est prise, le seuil d’immigration n’est pas une question réglée. Sa mise en place dépend des négociations avec le gouvernement fédéral qui n’est pas tout à fait d’accord et dépend des difficultés rencontrés sur le terrain. Présentement, on a commencé à parler du retard de traitement des dossiers d’immigration (environ 18 000 dossiers) et des difficultés de respecter la promesse en 2019. Il s’ajoute à ça l’apprentissage sur le terrain lors de la préparation du plan triennal 2020-2022 par le gouvernement caquiste et la pression des entrepreneurs que François Legault est prêt leur plaire même si à l’encontre de la population qui l’a élu.



شارك هذا الموضوع على: ↓


تعليقات فايسبوك
0 تعليقات المدونة

0 التعليقات:

إرسال تعليق