18‏/01‏/2020

Mohamed Saidi // La loi sur les signes religieux et les enjeux de la laïcité au Québec.

Le 16 juin 2019, le projet de loi no 21, Loi sur la laïcité de l’État1, a été adopté
et sanctionné pour « affirmer la laïcité de l’Etat 2» et « préciser les exigences qui en découlent2 » selon ses notes explicatives. Cependant, ses dispositions et son application démontrent qu’il ne vise que l’interdiction des signes religieux et il qu’il est loin de traiter les vrais enjeux de la laïcité au Québec, à titre d’exemple le financement des écoles confessionnelles et des organismes religieux. Le parti de la « Coalition Avenir Québec » (CAQ) formant le gouvernement cherche, à travers cette loi, à répondre aux attentes de son électorat, mais il oublie son rôle de « l’élite » qui devrait encadrer et orienter les réflexions de la majorité et non pas gouverner seulement avec la logique de « c’est ça ce que la majorité veut ».

La loi :

En premier lieu, il est à noter que la loi 21 vient comme une réponse au mécontentement dans la population constaté par la commission Bouchard-Taylor, il y a plus que 10 ans :

« L’emballement médiatique et le phénomène de la rumeur ont contribué à la crise des perceptions, mais ils ne suffisent pas à expliquer le mouvement de mécontentement qui s’est imposé dans une large partie de la population. La « vague » des accommodements a manifestement heurté plusieurs cordes sensibles des Québécois canadiens-français de telle sorte que les demandes d’ajustement religieux ont fait craindre pour l’héritage le plus précieux de la Révolution tranquille (tout spécialement l’égalité hommes-femmes et la laïcité). Il en a résulté un mouvement de braquage identitaire, qui s’est exprimé par un rejet des pratiques d’harmonisation3. »

Ce mécontentement a été amplifié par ce que les médias appellent « la radicalisation » au sein des jeunes et les attentats revendiqués par des groupes islamistes en Europe et en Amérique. Cela s’ajoute à l’histoire des abus de l’Eglise au Québec. Dans ce contexte, il est légitime d’avoir des craintes de la religion chez une partie de la population. Il est légitime également de questionner le rôle de l’école qui n’a pas réussi à outiller les jeunes face à la « radicalisation». Le gouvernement actuel, en se basant sur le besoin d’un Etat laïque, a choisi de répondre par la loi 21 qui n’apporte pas de nouvelles aux principes de la laïcité implicites dans les autres lois en vigueur au Québec. La Charte des droits et libertés de la personne garantit les libertés de conscience et de religion à toute personne et interdit toute discrimination fondée sur la religion4. La Charte canadiennes des droits et libertés garantit quant à elle les mêmes droits et libertés5. Ce qu’on en a besoin c’est une révision générale de la législation pour la « nettoyer » de l’héritage religieux contraire aux dits principes et pour mettre en place de nouvelles dispositions qui répondent aux menaces actuelles. Je suis certain que la laïcité rassemble les québécois ; elle constitue un compromis entre la majorité et les minorités religieuses. Elle protège le droit et la liberté de pratiquer ou de ne pas pratiquer une religion.

En plus des chartes provinciale et fédérale, la neutralité de l’Etat a été renforcée en 2017 par la loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’Etat et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes6. L’article 4 de cette loi dit :

« 4. Le respect du principe de la neutralité religieuse de l’État comprend notamment le devoir pour les membres du personnel des organismes publics d’agir, dans l’exercice de leurs fonctions, de façon à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l’appartenance ou non de cette dernière à une religion, ni en raison de leurs propres convictions ou croyances religieuses ou de celles d’une personne en autorité7. »

Ces principes sont reproduits dans la loi 21 explicitement à l’article 2 :

« 2. La laïcité de l’État repose sur les principes suivants :

1°   la séparation de l’État et des religions;

2°   la neutralité religieuse de l’État;

3°   l’égalité de tous les citoyens et citoyennes;

4°   la liberté de conscience et la liberté de religion8. »

La majorité à l’assemblée nationale croit que citer ces principes et affirmer au 1er article de la loi 21 que « l’Etat du Québec est laïque »9, rendra l’Etat plus laïque qu’elle l’est. Ceci n’est pas possible, car les autres lois qui ne sont pas « laïques » ont la même force juridique que cette la loi. De plus, toutes les lois du Québec peuvent être jugées constitutionnelles ou non devant la cour suprême du Canada en se référant à une loi fédérale et non pas à la loi 21. Les articles 1 et 2 n’ont d’effet réel que pour le reste de ses dispositions, soit les articles d’interdiction des signes religieux pour certains fonctionnaires (comme les enseignant(e)s et les agents de la paix) et la réception du service de l’État à visage découvert. On peut lire à l’article 6 :

« 6. Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées à l’annexe II.

Au sens du présent article, est un signe religieux tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef, qui est :

1°   soit porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse;

2°   soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse10. » (notre soulignement)

L’article 8 de la Loi 11interdit aux membres du personnel des organismes énumérés à l’annexe I d’exercer à visage découvert. Il interdit également aux citoyens de recevoir à visage découvert un service des fonctionnaires en évoquant les motifs de vérification de l’identité et de la sécurité.

Selon la charte canadienne, les droits et libertés « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique »12. Si l’interdiction mentionnée à l’article 8 peut être justifiée et considérée ainsi comme une limite raisonnable pour les motifs de la vérification de l’identité et de la sécurité, l’interdiction des « signes religieux » en général n’a pas été justifiée par le gouvernement et ainsi ne peut être considérée comme une limite raisonnable à mon avis. L’article 8 ne suscite pas beaucoup de controverses comme c’est le cas pour l’article 6 qui est basé sur des préjugés et beaucoup d’arbitraire liés à la notion de « signes  religieux ».

La notion des signes religieux :

En général, il n’y a pas de reconnaissance officielle des signes dans les religions comme les logos adoptés par les partis politiques. Face à ce vide, la loi 21 présente une définition biaisée qui ouvre les portes aux préjugés et à l’arbitraire. La première partie citée ci-dessus vise tout objet « porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse ». Je me demande c’est quoi l’outil que le gouvernement adoptera pour savoir si un objet est porté en lien avec une conviction religieuse ou une croyance religieuse. Le défi est que le même objet, selon le cas, sera une fois une menace pour la laïcité lorsqu’il est porté par conviction religieuse et d’autres fois, il ne représente aucune menace en absence de cette conviction. Un traitement différent, selon les cas, est considéré comme une violation du principe d’égalité entre les personnes garantie par les chartes des droits et libertés. De plus, la loi ajoute d’autres défis par l’élargissement de la définition dans la deuxième partie en visant tout objet «raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse ». Une des deux conditions est suffisante, mais identifier les objets ciblés n’est pas une tâche facile pour les juges et les autres personnes impliquées dans l’application de la loi.

La loi vise tout objet considéré comme un « signe religieux » et touche toutes les religions. Dans cet article, je prends comme exemples principalement des objets liés à l’Islam. Plusieurs interprétations de cette religion ont essayé de mettre en place un code vestimentaire « islamique », or d’autres défendent la liberté des personnes dans le choix de leurs codes. Hassan El Banna, le fondateur du mouvement politique « Les frères musulmans » de l’Egypte, par exemple, exige de couvrir les mains et le visage en lieu public13. Jamal El Banna, qui a des connaissances plus approfondies de l’islam et de son histoire, dit que l’islam n’a ni changé ni imposé un nouveau code vestimentaire14 à l’époque du Prophète. Pour lui, la femme et l’homme couvraient leur tête avant l’Islam pour se protéger contre les rayons de soleil et non pas pour des convictions religieuses. Mustafa Rached, un des diplômés de l’université Al Azhar qui a une grande influence au Monde musulman dit que le voile « Hijab » n’a aucun fondement dans l’islam15. Ainsi, les femmes musulmanes sont influencées par toutes les interprétations religieuses possibles. Il y a certaines qui portent le foulard par conviction ou croyance religieuses, d’autres pour des raisons pratiques ou de traditions et d’autres ne le portent pas en croyant qu’il n’est pas une obligation religieuse. Il semble que le gouvernement interdit le foulard aux fonctionnaires qu’il soit porté pour des raisons religieuses ou non. Immédiatement après l’entrée en vigueur de la loi, des commissions scolaires ont commencé à refuser les femmes qui portent le foulard16 sans leur poser la question s’ils font ça par conviction ou croyance religieuses ou non. Ce qu’il faut savoir, c’est que les femmes qui couvrent les cheveux en lien avec les obligations religieuses couvrent également les cuisses et les seins pour les mêmes raisons. Si le gouvernement veut être cohérent avec la définition des signes religieux dans la loi, il devrait probablement imposer les jupes courtes et les camisoles au lieu de travail ou imposer un autre code vestimentaire « laïque » ! Si on pousse le questionnement plus loin, est-ce que le code vestimentaire de la majorité n’est pas influencé par l’héritage religieux ? Il y a beaucoup de places à l’arbitraire dans cette loi, car il n’y a pas l’intention d’interdire tout vêtement porté en lien avec les convictions religieuses. Certains militants (es) justifient cette interdiction en évoquant le fait que le foulard est imposé aux femmes musulmanes. Si c’est le cas, on doit répondre par une protection de ces femmes, des sanctions aux personnes qui l’obligent à se voiler et renforcer son indépendance financière. Mettre ces femmes devant le choix de garder leur travail ou se soumettre au nouveau code vestimentaire, ne les aide pas à « retrouver » leur liberté.

Un autre exemple qui démontre l’arbitraire dans la loi 21 c’est la barbe « islamique » de l’homme. Certaines interprétations de l’Islam disent qu’il est préférable de garder la barbe, d’autres disent qu’il est interdit dans l’Islam de la raser17 et d’autres sont pour la liberté totale dans ce sujet. Je me demande pourquoi la loi a exclut la barbe « islamique » même si elle est un signe religieux et elle est une manifestation de la religion de l’homme en Islam et probablement en d’autres religions. L’égalité homme-femme est un principe important dans la législation québécoise et canadienne, or cette loi les traite différemment en inventant une définition « sur mesure » du signe religieux. Je pense qu’on a préparé la loi 21 en « travaillant à l’envers » : on aurait commencé par identifier « Quoi interdire? », puis intégrer une définition « sélective » et enfin on aurait trouvé « la laïcité » comme fondement théorique pour l’interdiction.

Le dictionnaire « Larousse » définit le mot « signe » comme suit : « Ce qui permet de connaître ou de reconnaître, de deviner ou de prévoir quelque chose18 ». Selon cette définition, tout ce qui permet de deviner la religion d’une personne est un signe religieux, comme son nom et certains mouvements de mains pour la prière. À l’encontre de cette définition, la majorité a limité les signes religieux aux « objets » seulement. Ceci, démontre que ce qui dérange, c’est porter une tenue différente et non pas « le signe religieux » en tant que tel. D’ailleurs, plusieurs personnalités de cette majorité ont critiqué et associé la tenue vestimentaire de la députée Catherine Dorion et ses collègues au manque de respect à l’égard l’assemblée nationale19 sans présenter aucun argument valable ni aucune définition d’« en quoi consiste une tenue respectueuse ». Cette majorité veut des fonctionnaires « neutres en apparence » pour appliquer des lois et des règlements qui ne le sont pas ni en faits ni en apparence !

La neutralité religieuse de l’Etat :

Avant de tester la neutralité de l’Etat du Québec, on va déterminer sa signification et son lien avec la laïcité. Cette notion a beaucoup évolué depuis la «  lettre sur la tolérance » (l’an 1686) de John Locke qui réclame une tolérance de l’Etat envers les religions et mentionne que les athées ne sont pas dignes de confiance et pour cela ils ne doivent pas être tolérés20. Actuellement, la théorie laïque, en général, ne s’écarte pas beaucoup des principes résumés au rapport Bouchard-Taylor comme suit :

« La laïcité comprend, selon nous, quatre grands principes. Deux définissent les finalités profondes que l’on recherche, soit : l’égalité morale des personnes ou la reconnaissance de la valeur morale égale de chacune d’entre elles, et la liberté de conscience et de religion. Les deux autres se traduisent dans des structures institutionnelles qui sont essentielles pour réaliser ces finalités, à savoir : la neutralité de l’État à l’égard des religions et la séparation de l’Église et de l’État. 21»

Le rapport précise la neutralité de l’Etat ainsi :

« L’État de tout le monde, doit rester neutre. Cela implique qu’il adopte non seulement une attitude de neutralité envers les religions, mais aussi envers les différentes conceptions philosophiques qui se présentent comme les équivalents séculiers des religions. 22»

La loi 21 a repris les mêmes principes énoncés dans ce rapport avec de légères modifications comme le remplacement de « la séparation de l’Église et de l’État » par « la séparation de l’État et des religions ». Le ministre responsable de la laïcité, Simon Jolin-Barrette dit que :

« (…) on s'est inspirés notamment de la proposition de Bouchard-Taylor dans le cadre de leur rapport, sur ce que devrait être la laïcité.

Mais c'est une laïcité québécoise, et il y a une importance fondamentale sur la liberté... la séparation entre l'État et les religions23. »

On constate comme une mise en garde faite par le ministre à ceux qui voudraient évaluer la loi 21 sur la base des critères universels. Il mentionne une « laïcité québécoise » dans un discours qui semble « strict » et qui donne l’impression qu’on est devant une laïcité « parfaite » :

« 3. La laïcité de l’État exige que, dans le cadre de leur mission, les institutions

parlementaires, gouvernementales et judiciaires respectent l’ensemble des

principes énoncés à l’article 2, en fait et en apparence24. » (notre soulignement)

Au contraire, la loi ignore la laïcité de l’Etat « en faits » et limite le terme «en apparence » aux signes religieux (objets) portés par seulement une partie des fonctionnaires. Avant tout, une loi ne peut être acceptable que si elle est équitable. Seule « la reconnaissance de sa religion », ne doit pas être un argument pour interdire La tenue vestimentaire d’une personne, car même en l’interdisant, les citoyens sont capables de deviner sa religion. Les fonctionnaires-hommes musulmans, par exemple, ne portent pas le « foulard islamique », mais plusieurs « personnes raisonnables » reconnaissent leur religion. En l’absence d’un préjudice, c’est facile de changer la perception du citoyen que de changer l’apparence du fonctionnaire. En principe, le citoyen devrait savoir et accepter qu’un Etat neutre embauche des personnes qui croient à la religion et d’autres qui n’y croient pas. En contrepartie, il faut le protéger contre les décisions et agissements dommageables qui sont influencées par les croyances religieuses du fonctionnaire et alourdir les sanctions du fautif. Ci-dessous, j’analyse des exemples d’enjeux qui nuisent à la laïcité de l’État et pourtant, ils sont ignorés par la loi 21, soit le financement des écoles confessionnelles et des organismes religieux, le calendrier des jours fériés.

Ecoles privées confessionnelles :

L’Etat finance directement la religion par le moyen des subventions versées aux écoles privées confessionnelles. Pour visualiser l’importance du financement direct, on peut se référer au budget des dépenses 2018-201925 qui accorde à l’enseignement privé (4e élément) la somme de 512 millions dollars ($) et 852 mille $26. A ce montant, on ajoute 133 mille $ pour une commission consultative de l’enseignement privé27 et des dépenses incluses dans d’autres catégories du budget.

Ces subventions sont versées en vertu en vertu de la loi sur l’enseignement privé 28 qui oblige aux écoles privées de se servir des manuels et du matériel didactique approuvés par le ministre (de l’éducation), mais il ne met aucune limite à l’endoctrinement religieux. Pourquoi le gouvernement n’a pas révisé cette loi à l’occasion de la préparation de la loi sur la laïcité 29 afin de conditionner les subventions de l’Etat avec un enseignement laïque ? Le foulard de l’enseignante risque d’endoctriner l’élève plus que l’endoctrinement lui-même! Je ne pense pas que le gouvernement ignore qu’il y a de l’endoctrinement religieux dans ces écoles. En 2012, le comité sur les affaires religieuses a établi un rapport 30spécifiquement sur la présence de la religion dans les écoles privées au Québec. Ce rapport de recherche a conclu que :

«  (…) 138 des 252 établissements d’enseignement privés se rattachent en 2010-2011 à une tradition religieuse par un ou plusieurs modes d’expression du caractère confessionnel. 

(…) Les écoles se rattachant à une religion accueillent 89 532 élèves, soit 71% des écoles du réseau privé.

(…) Les écoles confessionnelles se répartissent entre huit traditions religieuses monothéistes. Au total, 97 d’entre elles sont catholiques (70,30% des écoles se rattachant à une religion ; elles représentent 38,50% du réseau privé)31. »

Concernant les formes d’endoctrinement, le rapport ajoute :

«  Les types d’expression du caractère confessionnel sur lesquels le comité a choisi de concentrer l’analyse sont l’ensemble structuré d’activités confessionnelles, l’animation religieuse, pastorale ou autre et la déclaration d’appartenance à une tradition religieuse32. »

Et pour des précisions, le rapport dit, par exemple :

« (…) Dans la plupart des écoles juives, la prière est une pratique courante qui contribue au caractère confessionnel de l’établissement.

(…) La majorité des écoles musulmanes ont mis en place des ensembles structurés d’activités confessionnelles 33.»

A ma connaissance, la situation des écoles confessionnelles n’a pas changé depuis la date du rapport. Le gouvernement qui « tient la laïcité à cœur » devrait réagir à cette situation, mais il n’a pas fait à l’occasion de la préparation de la « loi sur la laïcité ». L’importance de la subvention l’aide à imposer ses règles à ces écoles; elle est de 60% du financement par élève accordé aux établissements publics34. La seule explication que je pourrais avancer est qu’ « en apparence », il accorde un privilège à la religion de la majorité, puisque la majorité des écoles qui reçoivent le financement sont catholiques.



Financement des organismes et institutions religieux :

Les organismes religieux, comme les autres organismes de bienfaisance enregistrés, sont exonérés de l’impôt sur leurs revenus imposables35 et ils sont considérés comme des donataires reconnus36. Ces derniers peuvent délivrer les reçus d’impôts en contrepartie des dons reçus et permettre aux donateurs d’avoir des crédits d’impôts. En d’autres termes, l’Etat a un manque à gagner sous forme de réduction d’impôts accordée aux personnes qui financent les organismes religieux.



Pour la définition du « donataire reconnu », L’article 999.2 de la loi sur les impôts (« L.I ») réfère également à l’article 149.1 de la loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R ») qui inclut entre autres dans sa définition « tout organisme de bienfaisance ». Ce que cela veut dire, c’est que tout organisme de bienfaisance reconnu par le gouvernement fédéral, il est reconnu par le gouvernement du Québec aussi. Pour savoir c’est quoi des « fins de bienfaisance », on peut se référer à un document publié en ligne par le gouvernement du Canada37. Il les définit comme suit :

« Pour être enregistré à titre d'organisme de bienfaisance, chacune des fins d'un organisme doit s'insérer dans au moins une des quatre catégories suivantes :

(i) le soulagement de la pauvreté

(ii) l'avancement de l'éducation

(iii) l'avancement de la religion

(iv) autres fins profitant à la collectivité

Un organisme est admissible à l'enregistrement si ses fins s'insèrent dans une ou plusieurs de ces catégories38.» (Notre soulignement).

Le document considère que l’avancement de la religion est une fin qualifiant un organisme comme un organisme de bienfaisance. Cette définition est reconnue et adopté par le gouvernement du Québec. L’avancement de la religion est financé par un État qui se déclare laïque et neutre religieusement « en fait et en apparence »! Ce privilège accordé à la religion est contradictoire même avec la définition de la neutralité de l’État au rapport Bouchard Taylor dont Simon Jolin-Barrette s’est inspiré : « philosophie politique qui interdit à l’État de prendre parti en faveur d’une religion ou d’une vision du monde aux dépens d’une autre »39. Le document du gouvernement fédéral exclut les autres visions du monde de la définition des fins de bienfaisance :

« iii) L'avancement de la religion :
L'enseignement, par un organisme, de principes, de doctrines, de la pratique ou de la culture à caractère religieux et rattachés à une confession ou à une religion particulière constitue une fin de bienfaisance. Les croyances ou les pratiques religieuses ne doivent pas être considérées comme subversives ou immorales.

Il ne suffit pas de prêcher l'éthique ou la morale pour être considéré comme un organisme de bienfaisance sous la catégorie de l'avancement de la religion. Par exemple, un site Web qui expose les points de vue d'une personne ou d'un groupe sur ce qu'il croit être acceptable ou non sur le plan moral ne peut pas être associé à la catégorie de l'avancement de la religion. Les enseignements doivent être empreints d'un élément spirituel, et les activités religieuses doivent profiter à l'intérêt général40. » (notre soulignement)

En plus de ces avantages, la loi sur la fiscalité municipale41 ajoute d’autres exemptions. Les articles 204 et 236 accordent une exemption totale de toute taxe foncière, municipale, scolaire ou d’affaires aux immeubles utilisés pour des activités religieuses. Ce n’est pas compliqué pour les personnes qui veulent des économies de taxes; elles n’ont qu’à ajouter une utilisation religieuse de leurs maisons et faire une demande d’exemptions. Le maire de Prévot, n’étant pas d’accord, n’avait pas le choix d’accorder ces exemptions à un couple qui, en habitant la maison, a déclaré qu’elle est utilisée également pour des fins religieuses et a dit qu’il vend des produits fabriqués par le «doigt de Dieu »42! Cette déclaration simple a permis d’économiser 3 812 $/an en taxes !

Le gouvernement du Québec accorde également un financement direct à un organisme à but non lucratif privilégié, le conseil du patrimoine religieux du Québec. Le gouvernement « laïque » de la CAQ a bonifié sa subvention de 25 millions $ sur 5 ans43 dans le budget 2019-2020. Ce conseil, depuis 1995, a reçu 357 millions $ sous forme de subventions du gouvernement du Québec44 . Ce n’est pas un organisme qui s’occupe de la mise en valeur des édifices historiques en général du pays; le conseil ne prend en charges que les églises utilisées comme des lieux de cultes. Ce constat est clair dans son budget 2018-2019 par exemple. Les lieux de cultes autres que les églises ne méritent-ils pas d’être considérés comme un patrimoine religieux du Québec? Est-ce qu’il n’y a pas lieu ici d’utiliser la notion de manque de la « neutralité en apparence »? au moins pour ne pas exclure les religions minoritaires! Les églises ne sont pas la propriété de l’État du Québec; alors si on décide de les financer, qu’on finance tous les autres édifices historiques comme les hôtels, les résidences personnelles..avec certaines conditions bien sûr.



Calendrier des jours fériés :

La plupart des jours fériés au Québec sont historiquement des fêtes religieuses  qui changent de date d’une année à l’autre. Ci-dessus, je cite quelques exemples du calendrier 2019 :

Noêl  (24, 25, 26 et 31 décembre) : fête chrétienne en lien avec la naissance de Jésus.

Action de grâce (14 octobre) : Une journée pour rendre grâce à Dieu.

Pâques (19 et 22 avril) : fête chrétienne pour commémorer la résurrection de Jésus.

Jour de l’an (1 et 2 janvier).

Fête nationale du Québec ou la Saint-Jean-Baptiste (24 juin) : à l’origine c’était une fête chrétienne.

Dimanche : Historiquement, il était imposé par une loi qu’on a abrogée45 et qu’elle trouvait son fondement dans la religion chrétienne.



Le calendrier comporte d’autres jours fériés, mais aucun n’est réservé pour les autres religions des minorités ou pour les athées. L’Etat neutre doit être impartial, n’est-ce pas ?!



La loi 21 est un échec pour la laïcité, car elle a ignoré des enjeux importants analysés ci-haut. Elle est également un échec le ministre chargé des immigrants et de leur intégration, car on ne peut pas réaliser l’intégration sans accepter la différence. Par contre, elle a réussi à nourrir un discours politique haineux au sein de certains groupes de la majorité et des minorités religieuses. A mon avis, la laïcité de l’Etat au Québec commence par mettre fin au financement des écoles confessionnelles et des organismes religieux et l’intégrer dans la loi constitutionnelle.


1 Loi sur la laïcité de l'État, LQ 2019, c 12, (« Loi »).

2 Id., notes explicatives.

3 Le rapport de la commission de consultation sur la pratique d’accommodements reliés aux différences culturelles, Coprésidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor, Gouvernement du Québec, 2007, P 18.

4 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, Art. 3 et 10.

5 Loi constitutionnelle de 1982 (R-U), constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

6 Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements pour un motif religieux dans certains organismes, RLRQ c R-26.2.01.

7 Id., Art.4.

8 Précité, note 1, Art. 2.

9 Précité, note 1, Art. 1.

10 Précité, note 1, Art. 6.

11 Précité, note 1, Art.8.

12 Précité, note 4, Art. 2

13 Hassan El Banna, L’un des objectifs de la Da’wa, la famille musulmane, (1944), Texte en arabe -en ligne : https://www.ikhwanwiki.com/index.php?title=%D9%85%D9%86_%D8%A3%D9%87%D8%AF%D8%A7%D9%81_%D8%A7%D9%84%D8%AF%D8%B9%D9%88%D8%A9_.._%D8%A7%D9%84%D8%A3%D8%B3%D8%B1%D8%A9_%D8%A7%D9%84%D9%85%D8%B3%D9%84%D9%85%D8%A9_(1) (consulté le 28-12-2019).

14 Jamal El Banna, la femme musulmane entre la libération du Coran et les limites des Fkihs (Texte en arabe), Dar Al Fikr Al Islami, Le Caire, 1998, P.27.

15 Mustafa Rached, le hijab n’est pas une obligation en islam, AlHewar- 2894, 20-01-2010, Texte en arabe- en ligne : http://www.ahewar.org/debat/show.art.asp?aid=200188&r=0.

16 Hak c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 2145, Par. 59.

17 Abi Abdellah Mohammed, « Ellihya fi El Kitab wa El Sounna wa Akwal El Salaf El Salih » (Texte en arabe), Dar El Kitab Wa El Sounna, Le Caire, 2007.

18 Larousse, en ligne : http://www.larousse.fr (consulté le 15-01-2020).

19 Geneviève Lajoie, Jeans et Dr Martens à l'Assemblée nationale, TVA Nouvelles, 05-12-2018, en ligne : https://www.tvanouvelles.ca/2018/12/05/jeans-et-dr-martens-a-lassemblee-nationale (consulté le 30-12-2019).
20 John Locke, Lettre sur la tolérance (1686), traduction française de Jean Leclerc (1710), Version numérique (Jean- Marie Tremblay, Chicoutimi, 2002) : http://classiques.uqac.ca/classiques/locke_john/lettre_sur_la_tolerance/lettre_sur_la_tolerance.pdf.

21 Le rapport de la commission de consultation sur la pratique d’accommodements reliés aux différences culturelles, Coprésidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor, Gouvernement du Québec, 2007, P135-136.

22 Id.

23 Assemblé nationale du Québec, Journal des débats de la commission des institutions, Vol.45 no 45. 5 juin 2019.

24 Précité, note 1, Art. 3.

25 Gouvernement du Québec, Budget de dépenses 2018-2019 (crédits des ministères et organismes), mars 2018.

26 Id., P. 101.

27 Id., P. 99.

28 Loi sur l'enseignement privé, RLRQ c E-9.1.



29 Précité, note 1.

30 Gouvernement du Québec, Comité sur les affaires religieuses, le fait religieux dans les écoles privées du Québec, 2012.

31 Id., P.11.

32 Id., P.16.

33 Id., P.21.

34 Id., P.26.

35 Loi sur les impôts, RLRQ c I-3, 2019 (« L.I »), Art.985.23.

36 L.I, Art. 999.2.

37 Gouvernement du Canada, Activités de bienfaisance et groupes ethnoculturels- Renseignement sur  l’enregistrement d’un organisme de bienfaisance (Lignes directrices), CG 2003, janvier 2008, en ligne; https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/organismes-bienfaisance-dons/organismes-bienfaisance/politiques-lignes-directrices/activites-bienfaisance-groupes-ethnoculturels-renseignements-enregistrement-organisme-bienfaisance.html#toc12 (consulté le 03-01-2020).

38 Id.

39 Précité, note 19 , P. 288.

40 Précité, note 35 .

41 Loi sur la fiscalité municipale, RLRQ c F-2.1, 2019.

42 François Dallaire, Ces groupes qui ne paient ni taxes ni impôts, Radio-Canada.ca, 31-01-2017, en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1013953/prevost-groupes-religieux-avantages-etat (consulté 03-01-2020).

43 Gouvernement du Québec, Budget 2019-2020, plan budgétaire, P. D-73.

44 En ligne : https://www.patrimoine-religieux.qc.ca/fr/aide-financiere (consulté le 05-01-2020)

45 Loi sur l’observance de dimanche, LRQ, c 0-1, abrogée ou caduque depuis le 15-02-1987.



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